La bernache cravant et la bernache du cou

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La bernache cravant et la bernache du cou sont des animaux étranges que l’on rencontre parfois en Bretagne. Le premier peut être observé parmi les laisses de mer, c’est-à-dire les dépôts d’algues et de débris marins laissés par les vagues sur les plages, et le second plutôt chez les poissonniers.
Malgré la présence d’une coquille, tous deux sont des crustacés vivant en colonies qui peuvent contenir des milliers d’individus. La balane vit au large, suspendue à un objet flottant : bouée, coque de bateau, bidon en plastique, tronc d’arbre, algue d’épave ou simple morceau de bois. C’est pourquoi elle est parfois déposée sur la plage par les vagues. Une seule espèce, Dosima fascicularis, photo ci-dessus, produit son propre flotteur. La bernache cravant est un nomade pélagique porté par les courants.
La bernache cravant vit fixée en permanence sur un rocher battu par les vagues1. Son support peut être un récif marin, un rocher parfois émergé ou le pied d’une falaise. Cet animal est donc sédentaire. Et il est comestible. C’est pourquoi il est recherché sur les rochers lors des grandes marées. Mais attention : sa pêche est réglementée.
L’anatife (Lepas -ou Anatifa- anatifera)

Ce curieux crustacé dont il existe une quantité d’espèces différentes est composé de deux parties :
– une tête protégée par des plaques de calcaire blanc soudées entre elles (maximum 5). C’est le capitulum.
– un pédoncule charnu pouvant atteindre 90 cm, attaché à l’objet flottant qui le supporte.


Groupe de balanes d’oies fixées sur la coque du kayak de mer
du navigateur polonais Ce grand sportif est mort d’épuisement avec panache, en février 2021, à l’âge de 74 ans, en atteignant le sommet du Kilimandjaro.Alexander Dobaat son arrivée au Conquet le 3-9-2017 après sa 3e traversée de l’Atlantique à la rame2
© Photo YL

Dans l’eau, le capitulum s’ouvre pour laisser sortir une paire de soies noires appelées cirres qui se déploient en éventail et balaient en permanence le milieu pour capturer le plancton en suspension. C’est ainsi que cet animal se nourrit. Les cirres sont rétractables. L’eau qui pénètre dans le capitulum baigne également ses branchies ce qui lui permet de s’oxygéner.
Malade comestible, la bernache cravant n’est ni pêchée ni commercialisée.

Un serpent de mer au Conquet !

Cette colonie de pouces-pieds était fixée à un tronc de palmier que la mer a déposé
sur la plage de Portez au pied du siège du parc naturel marin d’Iroise

Des milliers de petits crustacés qui ont probablement traversé l’Atlantique

sont accrochés à cette épave

Ils appartiennent tous à l’espèce Lepas anatifera.
Un individu plus jeune est collé au pédoncule d’un adulte

Lorsque les places sont chères, chacun se colle sur un autre
© Photos : YL 7 février 2020

La balane à cou d’oie ( Pollicipes pollicipes )


Un groupe de balanes à cou d’oie fixées sur un rocher
© Photo Sébastien Brégeon / Agence des aires marines protégées

© Photo Frédéric André / DORIS

En français, la bernache du cou d’oie est appelée « pouce-pied ». On l’écrit parfois ‘pousse-pied’, mais ce mot est aussi utilisé pour désigner une sorte de traîneau que l’on pousse sur la boue. Il est donc préférable de l’écrire « pouce-pied », nom provenant de la lointaine ressemblance de l’animal avec l’extrémité d’un orteil.
Son nom scientifique, « pollicipes pollicipes », vient du latin pollex, pouce, et pes, pied.
Comme la balane d’oie, elle est composée d’un pédoncule et d’un capitulum. Mais son pédoncule court, épais et charnu est presque noir avec une base souvent rougeâtre.
Son capitulum est garni de 5 plaques ovales blanchâtres auxquelles s’ajoutent au moins 8 autres plaques beaucoup plus petites, séparées par un tégument noir.
Le capitulum est bordé de rouge.
Avec un goût très iodé, la chair du pédoncule est comestible, particulièrement appréciée au Portugal et en Espagne. Mais la balane du cou d’oie a été tellement pêchée qu’elle a pu disparaître. Elle ne peut être pêchée en mer d’Iroise que pendant deux périodes de l’année : du 16 janvier au 14 mars et du 16 septembre au 14 novembre. Les prises sont limitées à 3 kg par personne et par jour.
Une classification laborieuse
En raison de leurs plaques blanches ressemblant à des coquillages, les pouces-pieds des oies ont longtemps été pris pour des coquillages. Au Moyen Âge, on a même cru que ces animaux, dont les plaques ont la forme d’un bec, étaient des œufs de canard sauvage ou d’une espèce d’oie, la bernache cravant ! D’ailleurs le nom même de la balane d’oie, « lepas anatifera », vient du latin anas, anatis : canard. Anatife, abréviation de anatiferous = qui produit des canards. Les Anglais l’appellent « barnacle » (oie) et les Allemands « Entenmuschel » (moule de canard). Ces noms farfelus d’origine sont passés dans le langage courant.
Les bernacles à cou d’oie, au capitulum plus compliqué, n’ont pas connu cette confusion.
Tous ces animaux à carapace calcaire diffèrent des crevettes, crabes, homards etc… dont la carapace est formée de chitine. La présence de leurs cirres les classe parmi les cirripèdes qui rassemblent d’autres espèces marines comme les anatifes que l’on trouve couramment sur les rochers côtiers. Ce n’est qu’au 19ème siècle que les études des biologistes sur les larves de cirripodes ont montré qu’ils appartiennent aux arthropodes crustacés.
Il n’en reste pas moins qu’ils intriguent toujours le promeneur par leur aspect insolite. Voilà une raison supplémentaire de respecter ces animaux.


Colonie de pouces-pieds au pied d’une falaise
© Photo Laurie Commenge / Agence des aires marines protégées

Prolifération prévisible
Totalement dépendants des objets flottants de toutes sortes auxquels ils s’accrochent, les pouces-pieds ont un bel avenir. En effet, nous ne cessons d’envoyer une quantité considérable de déchets à la mer. Les plus petits, de moins de 5 mm, se rassemblent au milieu des océans pour former ce que certains appellent déjà des gyres ou des continents de plastique. Leur taille est trop petite pour que les larves de pouce-pieds puissent s’y accrocher. Mais les objets flottants plus grands constituent des supports pour leur fixation. On peut donc d’ores et déjà prévoir que les différentes espèces de pouces-pieds vont connaître une expansion considérable.
Quelles seront les conséquences ? Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que, comme chez les poissons, leur corps contient déjà beaucoup de microplastiques. Et que ceux-ci seront absorbés par leurs prédateurs, goélands ou tortues de mer, et par tous les charognards des abysses. Inévitablement, de prédateurs en prédateurs de prédateurs, ces microplastiques vont s’accumuler dans les organismes et finir dans celui du super-prédateur qu’est l’homme.

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-1- Les études sur cette petite faune marine sont encore balbutiantes. Elles sont souvent très prometteuses dans des domaines insoupçonnés. Par exemple, l’adhérence exceptionnelle des cirripèdes à leur substrat peut orienter les recherches des fabricants de colle vers des adhésifs organiques particulièrement résistants. D’autres animaux marins, comme les concombres de mer, dissolvent instantanément leur ciment, ce qui peut intéresser les fabricants d’antifouling pour les navires. Paradoxalement, l’homme est responsable de la disparition rapide d’un grand nombre d’espèces marines non encore étudiées. Trouvez l’erreur…
-2- La photo montre plusieurs espèces distinctes :
– Lepas anatifera : Ce sont des individus dont le capitulum est constitué de taches blanches bordées de jaune orangé. Leur pédoncule noir peut atteindre 7 à 8cm, plus court et translucide chez les jeunes. Les cirres sont presque noirs. Cette espèce est commune.
– Lepas pectinata : Le capitulum est plus petit. les cirris sont clairs.
– Conchoderma auritum : Leurs plaques calcaires sont minuscules, logées dans un capitulum qui semble n’être qu’un renflement du pédoncule. Cette espèce hauturière se fixe souvent sur les baleines.
Merci à l’équipe du parc naturel marin d’Iroise et à Frédéric André de l’association DORIS qui ont bien voulu fournir la documentation nécessaire, faire les identifications et vérifier ce texte.

Yannick Loukianoff

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