Le comportement sensorimoteur et cognitif humain est associé à des changements dans l’activité oscillatoire du cerveau. Par exemple, l’intégration de divers aspects d’un stimulus dans un percept unitaire est liée à des oscillations synchronisées dans la gamme gamma (30-100 Hz), tandis que la puissance dans la bande alpha (8-12 Hz) augmente pendant la relaxation. L’activité motrice est associée à des changements dans les oscillations de fréquence bêta, qui a une plage de 15 à 30 Hz et atteint un pic à ∼20 Hz. Le mouvement volontaire est associé à une baisse de puissance (désynchronisation) dans cette gamme de fréquences, et la fin du mouvement est suivie d’une restauration de la puissance (Salmelin et Hari, 1994). Une hypothèse est que l’activité bêta représente le statu quo (Engel et Fries, 2010). La maladie de Parkinson, dans laquelle les personnes atteintes ont des difficultés à initier ou à modifier des mouvements, est notamment associée à des niveaux plus élevés de synchronie bêta (Schnitzler et Gross, 2005), ce qui suggère que l’activité bêta renforcée empêche le changement du statu quo.
La technique récemment développée de la stimulation transcrânienne à courant alternatif (tACS) peut être un moyen d’étudier le rôle des champs oscillatoires dans le fonctionnement du cerveau. Dans la tACS, deux électrodes sont placées sur la tête et un courant alternatif passe entre elles. Cela induit un champ électrique oscillant dans le cerveau entre les deux électrodes. Cela est susceptible d’induire une synchronisation neuronale à la fréquence de la tACS dans les zones corticales situées sous les électrodes, bien que l’on sache relativement peu de choses sur l’effet électrophysiologique de la tACS sur le cerveau (Zaghi et al., 2010). Par rapport à d’autres techniques de stimulation cérébrale, comme la stimulation magnétique transcrânienne (SMT) ou la stimulation transcrânienne directe par courant (STDC), la SACT présente un certain nombre d’avantages. L’effet du champ est de courte durée, en ce sens qu’aucun effet de la SACS n’est visible après le retrait du courant, alors que les effets de la STCC dépassent la stimulation de plusieurs minutes. De plus, la stimulation n’est généralement pas perceptible par le participant, alors que la STCC peut piquer la peau et que la SMT implique un clic audible.
Dans un article récent paru dans The Journal of Neuroscience, Feurra et ses collègues (2011) ont appliqué la STAC à quatre fréquences différentes au cortex moteur primaire de volontaires humains. L’effet du tACS sur le cortex moteur a été déterminé en utilisant des impulsions uniques de TMS sur la zone de la main du cortex moteur gauche pour générer des réponses musculaires mesurées dans la main droite des participants. On pense que l’amplitude de la PEM est liée à l’excitabilité de la voie corticospinale. La taille du PEM est souvent considérée comme une mesure de la préparation du système moteur à l’action, par exemple lors de l’observation d’actions réalisées par un autre agent (Fadiga et al., 2005). Feurra et ses collègues (2011) ont utilisé quatre fréquences de tACS : 20 Hz, et des fréquences de contrôle de 5, 10 et 40 Hz (représentant les gammes thêta, alpha et gamma, respectivement). En outre, un site témoin du cortex pariétal droit a été stimulé pour vérifier la spécificité spatiale de la stimulation tACS. Feurra et al. (2011) ont constaté que la stimulation tACS à toutes les fréquences avait un effet d’amélioration sur les PEM (leur figure 2), bien que des tests par paire entre les conditions aient montré que seule la fréquence cible de 20 Hz avait une amélioration statistiquement significative par rapport à la ligne de base et par rapport aux autres conditions de stimulation. Ces autres conditions de stimulation comprenaient le site de stimulation pariétal. Dans une autre expérience de contrôle, aucun effet de la fréquence de stimulation sur la taille des PEM n’a été détecté lorsque les PEM ont été générés en appliquant la SMT au nerf cubital du bras droit, ce qui montre que les effets ne sont pas dus à une interaction physique entre le courant induit par le TACS et le courant généré par la SMT. Les résultats de l’expérience de Feurra et de ses collègues (2011) suggèrent que le tACS à fréquence bêta peut affecter l’excitabilité corticale motrice. Ces effets étaient spécifiques à l’espace, puisque la stimulation du cortex pariétal controlatéral n’a pas affecté la taille du PEM, et spécifiques à la fréquence, puisque le tACS à différentes fréquences n’a pas non plus modifié la taille du PEM.
Les résultats de ce travail sont intéressants car il n’y a aucune raison a priori de croire que l’injection d’un courant à une fréquence similaire à celle qui est naturellement présente aurait le même effet que le rythme naturel. À l’heure actuelle, il n’existe aucun rôle fonctionnel connu pour les oscillations de la fréquence bêta, de sorte qu’on ne sait pas si l’activité bêta code une qualité spécifique de l’activité motrice ou de la planification ou si elle est simplement un épiphénomène. Si l’activité dans la bande bêta était un épiphénomène, nous ne nous attendrions pas à ce que l’ajout de puissance dans cette fréquence ait un effet quelconque. À l’inverse, si l’activité dans cette gamme était fonctionnellement et causalement liée au comportement moteur en soi, quelle que soit la population de neurones participant au rythme, cela suggérerait que les informations motrices sont véhiculées par la synchronisation neuronale ; dans ce cas, le courant supplémentaire substantiel ajouté par le tACS serait susceptible d’interférer avec le traitement en cours dans le cortex. Dans tous les cas, il est probable que la fréquence exacte qui représente le mieux la bande bêta est spécifique à une personne et à une zone corticale. Par exemple, dans une étude, les mouvements des mains et des pieds ont été associés à des fréquences bêta différentes dans les zones correspondantes du cortex sensorimoteur et, dans chaque zone, la fréquence maximale variait selon les individus (Neuper et Pfurtscheller, 2001). Par conséquent, l’utilisation d’une fréquence unique pour tous les participants à une étude pourrait signifier que certaines personnes seraient moins susceptibles de montrer un effet. Il est à noter que dans l’étude de Feurra et al. (2011), quatre sujets (sur 15) ont moins bien répondu à 20 Hz qu’à d’autres fréquences de tACS, bien que chez ces quatre sujets la stimulation bêta ait donné le deuxième meilleur effet. La variation individuelle de la fréquence bêta maximale n’a pas été mesurée dans cette étude.
Feurra et al. (2011) rapportent une amélioration de la taille des PEM, ce qui est généralement considéré comme représentant un changement positif de la fonction motrice. Pourtant, une étude récente qui a utilisé un tACS de 20 Hz sur le cortex moteur gauche a montré un effet néfaste sur le comportement moteur du membre supérieur droit : pendant le tACS, les mouvements des personnes sont devenus plus lents (Pogosyan et al., 2009). Comment concilier les résultats de Feurra et al. (2011) et de Pogosyan et al. (2009) ? Nous suggérons que le renforcement de l’activité oscillatoire par l’utilisation du tACS augmente l’excitabilité de l’ensemble du cortex moteur (d’où l’augmentation des amplitudes des PEM), mais de manière non sélective. Étant donné que le cortex moteur primaire est organisé fonctionnellement en synergies (Holdefer et Miller, 2002), la coactivation d’un certain nombre de groupes de synergies est susceptible d’avoir un effet délétère sur une action donnée. En d’autres termes, la synchronisation de l’activité oscillatoire des neurones du cortex moteur pourrait être à la fois bénéfique sur le plan physiologique et néfaste sur le plan fonctionnel. Ceci est cohérent avec des travaux antérieurs montrant que les troubles du mouvement tels que la maladie de Parkinson sont caractérisés par une synchronisation dans la bande bêta.
La modulation de l’activité cérébrale par la stimulation non invasive du courant est un nouvel outil dans les neurosciences cognitives et a déjà donné des résultats intéressants. Les travaux récents de Feurra et al. (2011) constituent une étape importante dans la compréhension des événements physiologiques qui se produisent pendant le tACS. Cependant, ces travaux montrent également le rôle causal que joue l’activité cérébrale oscillatoire de fréquence bêta dans le comportement moteur : si l’activité bêta était un épiphénomène, ajouter plus d’activité ne changerait pas l’état du système moteur. Ces travaux soulèvent également un certain nombre de questions : Dans quelle mesure la fréquence de stimulation doit-elle être proche du pic bêta individuel du participant ? Quelle est la spécificité somatotopique de l’effet (les PEM des jambes seraient-ils moins affectés que ceux des mains) ? La distribution du courant peut-elle être modelée de manière à stimuler une zone plus petite du cortex, conduisant à un effet plus spécifique sur le plan somatotopique ? La modification des paramètres de stimulation peut-elle générer des résultats moteurs à la fois améliorés et altérés ? Le tACS est un nouvel outil en neurosciences cognitives et les études soigneusement contrôlées de ce type sont très prometteuses pour les études futures du contrôle neuronal du comportement.
Notes de bas de page
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Note de la rédactrice : Ces brefs examens critiques d’articles récents publiés dans le Journal, rédigés exclusivement par des étudiants diplômés ou des boursiers postdoctoraux, visent à résumer les résultats importants de l’article et à fournir un aperçu et des commentaires supplémentaires. Pour plus d’informations sur le format et l’objectif du Journal Club, veuillez consulter http://www.jneurosci.org/misc/ifa_features.shtml.
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Ce travail a été soutenu par une subvention du 7e PC de l’UE dans le cadre du programme des technologies futures et émergentes : FET-Open 222079 (HIVE) (à N.J.D. et H.M.M.). Nous sommes reconnaissants au Dr Martyn Bracewell pour ses commentaires utiles.
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N.J.D. et H.M.M. sont soutenus par une subvention FP7 de l’UE FET-Open 222079 (HIVE) au Dr Martyn Bracewell. Nous sommes reconnaissants au Dr Bracewell pour ses commentaires utiles.
- La correspondance doit être adressée au Dr Nick Davis à l’adresse ci-dessus.n.davis{at}bangor.ac.uk
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