« Alexandre a affronté la Perse avec l’armée aguerrie que son père avait créée. »
Par Adrian Goldsworthy
ALEXANDRE LE GRAND était l’un des commandants militaires les plus réussis de l’histoire.
En seulement sept ans, il a mené son armée de la Macédoine à ce qui est aujourd’hui le Pakistan, renversant la Perse, la superpuissance du monde classique, et créant son propre nouvel empire.
La majeure partie de la vie adulte d’Alexandre a été passée en campagne. Il partageait ostensiblement les rigueurs des marches et des chevauchées sur des milliers de kilomètres avec ses hommes, endurant la fatigue, la faim, la soif et les extrêmes du climat. Au combat, il menait de front, se battant au corps à corps et subissant un long catalogue de blessures.
On attendait d’un roi macédonien qu’il donne l’exemple du courage personnel. Alexandre n’a pas seulement poussé cette notion à l’extrême, il l’a associée à une réflexion tactique et stratégique astucieuse. Inlassable dans ses prises d’assaut, il était toujours audacieux, voire téméraire. Pourtant, derrière cette agressivité constante se cachait un calcul et un objectif minutieux, ainsi qu’une rare capacité à s’adapter à chaque situation. Napoléon admirait Alexandre, tout comme Hannibal et César. Aujourd’hui encore, de nombreux commandants militaires pensent pouvoir tirer des leçons des campagnes de l’ancien roi macédonien.
Comme la plupart des dirigeants qui réussissent, Alexandre a eu de la chance ; il aurait pu être tué ou estropié par des blessures au début de ses campagnes. Mais plus importante que sa bonne fortune était l’armée qu’il a héritée de son père, Philippe II. Tout comme Napoléon a bénéficié de la conscription massive de la France révolutionnaire et des idées d’une génération de théoriciens militaires français, Alexandre s’est retrouvé à la tête d’une force de combat comme il n’en avait jamais vu auparavant. Il n’est pas exagéré de parler d’une révolution militaire sous Philippe et Alexandre, et la plupart des réformes ont eu lieu sous le père.
Philippe a hérité d’un royaume faible, vulnérable et apparemment sur le point d’être démembré par des voisins plus forts. Pourtant, en un peu plus de deux décennies, il a unifié et étendu la Macédoine jusqu’à ce qu’elle domine le sud de la Grèce et les Balkans. Au cours de ce processus, il est passé du statut de jeune héros fringant à celui de vétéran balafré, boiteux et borgne, car il s’est exposé aux dangers tout autant qu’Alexandre le fera plus tard.
Au cœur de ce changement se trouvaient des réformes radicales de l’État et de l’armée macédonienne. Dans le passé, le royaume avait produit une cavalerie décente, mais peu d’autres soldats de grande importance. La guerre grecque était encore dominée par l’hoplite, un lancier en armure qui combattait dans les rangs serrés de la phalange. Cette méthode de guerre était intimement liée à l’idéal de la citoyenneté dans les cités-États grecques. Mais la société macédonienne était différente. Elle ne comptait pas de paysans prospères prêts à servir quand on le leur demandait – des hommes qui fournissaient leur propre équipement et savaient s’en servir. Les tentatives précédentes d’apporter des tactiques et des équipements hoplites en Macédoine avaient échoué.
Philippe a changé cela. Mais au lieu de la lance hoplite typique de 10 pieds de long ou dory, il a délivré à chaque fantassin macédonien une pique beaucoup plus volumineuse de 16 à 18 pieds connue sous le nom de sarissa. Ces armes devaient être maniées à deux mains et les fantassins qui les portaient devaient suivre un entraînement spécial pour rester en formation de manière à ce que des rangées de têtes de piques soient projetées devant eux. La sarissa permettait de maintenir l’ennemi à distance et de l’obliger à lutter pour s’approcher suffisamment des Macédoniens pour leur porter un coup. Pendant tout ce temps, les hommes de Philippe pouvaient frapper et blesser l’ennemi.
Une phalange de piquiers armés de sarissa était difficile à briser, tant qu’ils restaient ensemble et mettaient une pression constante sur l’ennemi. Un général romain expérimenté décrivit plus tard l’avancée de la phalange macédonienne comme la chose la plus terrifiante qu’il ait jamais vue. Au fil du temps, l’entraînement et l’expérience ont donné aux piquiers macédoniens des exercices d’unité et des compétences individuelles toujours meilleurs.
Pour autant, la phalange de piquiers n’était qu’un élément du nouveau système de Philippe. La cavalerie macédonienne s’est également entraînée durement, a bénéficié d’un meilleur équipement. Et leur nombre a augmenté pendant son règne, car il a attribué des domaines en territoire conquis aux hommes obligés de servir comme cavaliers.
Il y avait aussi les hypaspistes, fantassins professionnels d’élite équipés plutôt comme des hoplites. Un large éventail d’archers, de frondeurs, de javeliniers et autres fantassins et cavaliers légers, ainsi que des mercenaires de tous types, complétaient l’ordre de bataille macédonien. Peu de challengers disposaient de la variété de troupes incluses dans l’armée de Philippe ; aucun ne les combinait aussi efficacement.
A partir de 334 av. J.-C., Alexandre affronta la Perse avec l’armée aguerrie que son père avait créée. Elle avait déjà soumis la Grèce, où l’opposition disposait d’une forte infanterie, mais était plus faible dans les autres armes.
Les Perses alignaient une excellente cavalerie, mais peinaient à trouver un grand nombre d’infanterie lourde fiable et s’appuyaient en grande partie sur des mercenaires grecs. Les tactiques d’armes combinées des Macédoniens donnèrent aux envahisseurs un avantage sur les deux et, en temps voulu, permirent d’ajouter au système de base d’autres contingents combattant dans des styles différents. Les archers à cheval des peuples nomades des Steppes se révélèrent un atout très efficace dans les campagnes d’Alexandre en Afghanistan et en Inde.
L’équipement et les tactiques ne sont qu’une partie de l’histoire. Comme Alexandre, Philippe a passé la majeure partie de sa vie en campagne et – à part quelques revers – non seulement à mener guerre après guerre, mais à les gagner. Les Macédoniens se sont habitués à la victoire et ont également pris l’habitude de travailler en équipe. Presque tous les hommes et la grande majorité des officiers au début de l’expédition perse avaient fait de nombreuses campagnes avec Philippe. Une source ancienne note qu’il s’agissait d’une armée âgée et très expérimentée, ce qui était certainement vrai au regard des normes modernes. Ces hommes connaissaient leur travail et se connaissaient entre eux. Une des raisons pour lesquelles Alexandre pouvait mener des charges était qu’il faisait confiance aux commandants subordonnés à tous les niveaux pour gérer toute crise locale et exploiter toute opportunité.
Trois batailles majeures ont suffi pour vaincre la Perse, et une quatrième a décidé de la campagne principale en Inde. Aucune n’a duré plus d’un jour, et pour toute leur importance, bien plus de temps a été consacré aux raids, aux escarmouches et surtout aux sièges de villes et de villages. Très tôt, Philippe avait recruté des ingénieurs, les payant bien et finançant leurs recherches sur tous les aspects de l’art du siège. La capacité à prendre des places fortifiées était l’une des plus grandes raisons du succès des Macédoniens, combinée à une rapidité de mouvement, car les hommes de Philippe marchaient aussi fort qu’ils combattaient. Combattre Philippe ou Alexandre signifiait affronter un ennemi qui frappait soudainement avec une force importante et précisément ciblée et qui semblait capable de capturer n’importe quelle forteresse. C’était une combinaison difficile à battre, jusqu’à ce qu’après la mort d’Alexandre, les chefs macédoniens se retournent les uns contre les autres pour déchirer son éphémère empire.
Adrian Goldsworthy a enseigné à l’université de Cardiff, au King’s College et à l’université Notre Dame de Londres. Son nouveau livre, Philip and Alexander : Kings and Conquerors, est à paraître chez Basic Books le 13 octobre.