Discussion
Dans cette revue, nous avons évalué le statut en fer chez les adultes végétariens sur la base de 13 études publiées avec des participants de 10 pays. Certaines études ont rapporté le statut en fer exclusivement chez les végétariens, tandis que d’autres études ont rapporté les biomarqueurs du fer chez les végétariens et les non-végétariens. Les résultats ont été rapportés séparément pour les femmes et les hommes végétariens. Il s’agit de la revue de littérature la plus complète sur le statut en fer des adultes végétariens.
Les auteurs ont utilisé une variété de critères de coupure différents pour ce qui constitue une déplétion en fer (par exemple, ferritine <12 µg/L, <25 µg/L) ou une carence (par exemple, Hb <115 g/L, <120 g/L). De même, une variété de définitions différentes de ce qui constitue un régime végétarien a été utilisée. Par exemple, Ball et al ont défini un végétarien comme » un individu qui ne consomme pas de viande rouge plus d’une fois par mois et qui ne consomme pas de poulet ou de poisson plus d’une fois par semaine « .10 Une définition assez similaire a été utilisée par Alexander et al. Ils ont défini un végétarien comme » une personne qui ne consomme jamais de viande rouge et qui ne consomme pas de poulet ou de poisson plus d’une fois par semaine. »8 En revanche, d’autres auteurs ont défini les lacto-ovo-végétariens et les lacto-végétariens comme des individus qui « ne mangeaient pas de viande, de produits carnés, de poisson ou de volaille, mais consommaient respectivement des produits laitiers et des œufs ou des produits laitiers ».19 De même, les végétaliens ont été définis comme ceux qui « excluaient la viande, le poisson, la volaille, les produits laitiers et les œufs ».15
Nous avons résumé les résultats basés sur la ferritine sérique et l’Hb, car d’autres biomarqueurs du statut ferrique ont été rapportés dans un nombre très limité d’articles. Les taux de ferritine sérique fournissent l’évaluation la plus spécifique et la plus sensible des réserves en fer, tandis que selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une Hb sérique <120 g/L chez les femmes et <130 g/L chez les hommes indique une anémie. De faibles concentrations de ferritine indiquent une déplétion des réserves de fer, qui résulte d’un apport insuffisant en fer, d’une malabsorption et/ou d’un volume élevé de pertes sanguines. Les faibles taux de ferritine reflètent généralement une déplétion ferrique progressive, et traduisent un mauvais statut ferrique sur une longue période. À terme, l’épuisement progressif des réserves de fer aura un effet négatif sur la disponibilité du fer dans l’organisme, ce qui peut entraîner des valeurs anormales d’autres biomarqueurs, tels que l’hémoglobine.6
Les résultats basés sur les taux de ferritine ont montré une prévalence élevée de l’épuisement du fer chez les participants végétariens, en particulier chez les femmes. Les concentrations de ferritine chez les femmes végétariennes ont été rapportées dans 8 études pour 10 groupes différents. Dans 6 des 10 groupes, la prévalence était supérieure à un tiers de l’échantillon. La prévalence la plus faible de ferritine <12 µg/L était de 12% des participantes dans un échantillon4 et la plus élevée atteignait 79% dans un autre groupe.12 Les valeurs de ferritine chez les hommes végétariens ont été rapportées pour 8 groupes différents dans 6 études. La prévalence de la déplétion en fer variait de 0 %15 à 29 %.8 La prévalence d’une faible ferritine était plus élevée chez les hommes et les femmes végétariens, par rapport à leurs homologues non végétariens (Tableau 1).
Le statut en fer des végétaliens, séparément des autres végétariens, a été rapporté dans 3 études. Les données publiées par Wilson et Ball16 ont montré une prévalence beaucoup plus élevée de déplétion en ferritine chez les participants masculins végétaliens, par rapport aux végétariens et aux non-végétariens (30 %, contre 20,5 % et 0 % pour les végétaliens, les végétariens et les non-végétariens, carence définie comme <25 ng/mL et 25 %, 3 % et 0 % pour la carence définie comme <12 ng/mL).16 D’autre part, la prévalence de la carence chez les femmes américaines végétaliennes et non végétariennes était assez comparable (27 % contre 20 %).15 De même, aucun des hommes américains végétaliens ou non végétariens n’a présenté une ferritine basse.15 De plus, Waldmann et al ont rapporté le statut ferrique exclusivement chez des femmes allemandes végétaliennes, sans groupe de comparaison. Une prévalence considérablement élevée de ferritine <12 ng/mL a été trouvée parmi les groupes de femmes jeunes et plus âgées (40% pour les 19 à <50 ans et 12% pour les 50 ans et plus).4 Le niveau d’Hb <120 g/L parmi les mêmes participants était de 6% et 8% pour les groupes plus jeunes et plus âgés, respectivement.4 Des données détaillées sont trouvées dans les tableaux 1 et 22.
Les pourcentages élevés de faibles concentrations de ferritine parmi les femmes végétariennes n’étaient pas exclusifs à un emplacement géographique ou un pays spécifique. En fait, des études menées dans certains pays riches ont montré une prévalence plus élevée de ferritine basse, par rapport aux résultats obtenus chez les végétariens d’un pays en développement. Par exemple, 56% des femmes caucasiennes du nord de Londres, en Angleterre12, et 47% de celles de Nouvelle-Zélande8 avaient une ferritine <12 µg/L. Ces chiffres sont un peu plus élevés que ceux de 34% des femmes végétariennes. Ces chiffres sont un peu plus élevés que ceux de 34 % des femmes d’Afrique du Sud14 qui présentaient une ferritine basse sur la base des mêmes critères de coupure. Le seul échantillon présentant une prévalence plus élevée de concentration inadéquate de ferritine a été rapporté chez des femmes indiennes vivant dans le nord de Londres, en Angleterre (79 %).12 La prévalence de la déplétion en fer chez les femmes végétaliennes aux États-Unis a atteint 27 %,15 ce qui, bien qu’inférieur à la prévalence rapportée dans les recherches d’autres pays, devrait être préoccupant.
Comme prévu, par rapport à la prévalence des individus déplétés en ferritine, un pourcentage plus faible des échantillons présentait une concentration d’Hb inférieure aux seuils respectifs. Par exemple, seulement 6 % des femmes végétariennes âgées de 19 à <50 ans avaient une Hb <120 g/L, même si 40 % de l’échantillon avait des réserves de fer épuisées (ferritine <12 µg/L).4 De même, 13 % des participants végétaliens inclus dans une étude de Haddad et al avaient des valeurs d’Hb <120 g/L, bien qu’un pourcentage deux fois plus élevé (27 %) présentait des réserves de fer épuisées (ferritine <12 µg/L).15 Dans cette étude, le pourcentage de personnes végétaliennes anémiques (Hb <120 g/L) était comparable à celui des non-végétariens (13 % contre 10 %). Cependant, dans toutes les autres études, les valeurs d’Hb inférieures aux seuils de carence étaient considérablement plus élevées chez les participants végétariens que chez les non-végétariens (Tableau 2).12,13,18,19
Les carences nutritionnelles se développent par étapes, en commençant par un apport inadéquat, en passant par l’épuisement des réserves, l’apparition d’anomalies hématologiques, et enfin, l’apparition de symptômes de carence manifestes. Étant donné que les réserves de nutriments s’épuisent avant l’apparition d’anomalies hématologiques et que la ferritine reflète le niveau de fer stocké, il est normal d’observer une prévalence plus faible d’un statut Hb inadéquat par rapport à un statut ferritine inadéquat.
Au moins 4 études ont rapporté des données provenant de participants qui étaient membres de l’Église adventiste du septième jour (Adventistes).14,15,19,20 Les concentrations de ferritine et les pourcentages de l’échantillon en dessous du seuil de carence ont été rapportés dans 2 études et les données Hb ont été rapportées dans 3 études. Vingt-sept pour cent des femmes végétaliennes participant à l’étude avec des adventistes vivant aux États-Unis avaient une ferritine <12 µg/L et 13 % avaient un taux d’Hb <120 g/L.15 Parmi les adventistes d’Afrique du Sud, 34 % des femmes avaient une ferritine <12 µg/L.14 Les résultats des adventistes de Nouvelle-Zélande ont montré que 17% des femmes adventistes avaient un taux d’Hb <115 g/L.19 Parmi les femmes adventistes végétariennes canadiennes, 22% de l’échantillon avaient un taux d’Hb inférieur à 12 g/dL.20 Tous les hommes adventistes végétariens avaient un taux d’Hb supérieur au seuil de carence, tant aux États-Unis qu’en Nouvelle-Zélande.15,19 Les 10 hommes végétaliens qui ont participé à une étude de Haddad et al avaient tous une ferritine supérieure à 12 µg/L.15 En revanche, 9 % des hommes adventistes végétariens d’Afrique du Sud avaient une ferritine inférieure à cette valeur seuil.19
Il a été conclu précédemment que l’incidence de l’anémie ferriprive chez les végétariens est similaire à celle des non-végétariens21. Cette conclusion peut être valable pour les hommes végétariens mais un pourcentage considérablement plus élevé de femmes végétariennes, par rapport à leurs homologues non végétariennes, ont été trouvées avec une concentration d’Hb indiquant une anémie (Tableau 2). Nos résultats remettent également en question une autre croyance largement acceptée selon laquelle la ferritine sérique des végétariens se situe généralement dans la plage normale.21 Les données examinées ont montré que cette conclusion n’est pas correcte pour une proportion substantielle de végétariens, en particulier les femmes végétariennes.
Le statut en fer des végétariens est probablement le résultat (1) de l’ingestion de fer principalement non héminique, qui est sujet à plusieurs inhibiteurs d’absorption du fer présents dans les aliments végétaux,5,6 et (2) d’un apport en fer alimentaire inadéquat. Le fer non hémique présent dans les aliments végétaux est moins biodisponible que le fer hémique.5 Le phytate est le principal inhibiteur de l’absorption du fer présent dans les céréales, en particulier les céréales complètes, les légumineuses et les noix.6 On trouve des polyphénols dans de nombreuses céréales, des légumes et certaines boissons (par exemple, le thé et le café).5,6 L’oxalate est présent dans certains légumes à feuilles vertes. Selon l’Institute of Medicine, les végétariens ont des besoins en fer 1,8 fois plus élevés que les non-végétariens.5 Ainsi, même si dans certaines études, l’apport en fer était légèrement plus élevé chez les végétariens que chez les non-végétariens, (1) il était souvent inférieur à l’apport nutritionnel recommandé pour les femmes végétariennes et (2) il ne suffisait pas à compenser les besoins élevés.10,14,15,19 Associés à la perte de fer pendant les périodes menstruelles, ces facteurs contribuent à une prévalence élevée de déplétion en fer (ferritine 12 µg/L) chez les participantes.
Les végétariens peuvent bénéficier d’une éducation sur les moyens d’améliorer leur statut en fer. En plus de l’enrichissement en fer des aliments de base imposé par le gouvernement, pratiqué dans de nombreux pays développés et en développement, dans certains pays, les fabricants d’aliments sont autorisés à pratiquer des programmes volontaires d’enrichissement des aliments. Aux États-Unis, par exemple, une variété de produits, comme les céréales, sont enrichis en fer. Certaines céréales enrichies en fer, comme General Mills Total, contiennent de 30 à 60 mg de fer par portion de 3,5 oz.22 Les céréales qui contiennent du son sont également une source importante, avec plus de 15 mg de fer par portion de 3,5 oz.22 Certains haricots, comme le soja, les lentilles et les haricots garbanzo contiennent jusqu’à 5 mg de fer par portion de 3,5 oz de produit cuit.22 Dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement, l’utilisation de moulages de fer pour la cuisson peut ajouter un apport significatif en fer. L’utilisation de moulages de fer s’est également avérée être un traitement efficace de l’anémie ferriprive.23
L’absorption du fer peut être améliorée lorsqu’une source importante de vitamine C et/ou d’autres acides organiques est ajoutée à un repas. Ainsi, les céréales et autres produits céréaliers devraient être ingérés avec des fruits frais, tels que des fraises, des myrtilles, des groseilles, et ou des agrumes. Un effet similaire, sinon meilleur, peut être obtenu si des jus de fruits frais sont régulièrement servis avec les céréales du petit-déjeuner. En revanche, les boissons telles que le thé et/ou le café doivent être limitées. Bien qu’une utilisation systématique de suppléments de fer ne soit pas recommandée en raison de leur effet néfaste potentiel, il peut être conseillé d’utiliser périodiquement des suppléments de fer à court terme.
L’absorption du fer peut être encore améliorée par la cuisson, la fermentation et la germination des aliments. Ces techniques de préparation des aliments réduisent la teneur en acide phytique. Les céréales étant une source majeure de fer dans de nombreuses sociétés, l’utilisation appropriée de ces méthodes de préparation des aliments peut avoir un impact significatif sur le statut en fer. En outre, le thé et le café étant une source majeure de tanins, qui inhibent l’absorption du fer, l’OMS a suggéré de limiter la consommation de ces boissons à 1 ou 2 heures après un repas plutôt qu’au cours d’un repas.9 Enfin, le calcium inhibant également l’absorption du fer, l’OMS a recommandé d’ingérer des aliments riches en calcium, lors des repas les moins riches en fer.9